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Le fait que l’activité agricole soit traditionnellement une affaire de famille n’offre malheureusement pas de garantie en ce qui a trait au déroulement harmonieux de la transition des fermes familiales. L’invitée de cette baladodiffusion est Jolene Brown, conférencière professionnelle, auteure et conseillère auprès des exploitations agricoles familiales. Ses conseils en matière de planification de la relève intéresseront au plus haut point les agriculteurs.
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La série L’entreprise agricole, qui vous est offerte sur le site RealAgriculture.com (site en anglais seulement), est une présentation de RBC Banque Royale.
Shaun Haney : Bienvenue à cette baladodiffusion de la série L’entreprise agricole. Mon nom est Shaun Haney, de RealAgriculture.com. Au cours de ce douzième épisode, nous allons parler d’une question qui crée d’énormes difficultés dans le secteur agricole nord-américain : la planification de la relève. Faire pousser des récoltes, élever du bétail, tout cela est facile, mais il en va tout autrement lorsqu’il s’agit d’assurer la relève des exploitations agricoles. Vous connaissez probablement des gens – voisins, amis ou membres de votre propre famille – pour qui la transmission de la ferme familiale s’est transformée en un conflit désastreux. On voit des cas où la communication est coupée à jamais entre des membres de la même famille ! Heureusement, vous avez sans doute aussi vu des cas où les choses se sont bien passées – car il est possible de bien faire les choses. Pour ce douzième épisode de la série L’entreprise agricole, présentée par RBC, j’ai invité Jolene Brown, une conseillère en planification de la relève agricole familiale – l’une des meilleures que j’aie eu le plaisir d’entendre. Elle et son mari sont propriétaires d’une ferme en Iowa, où ils cultivent le maïs et le soya. Mme Brown travaille aussi comme conseillère auprès des exploitations agricoles familiales. Vous allez être emballés par la discussion que j’ai eue avec elle, ainsi que par la pertinence de ses propos. C’est donc avec plaisir que je vous invite à écouter cet entretien portant sur la planification de la relève agricole familiale.
Shaun Haney : Jolene, parlez-nous un peu de vous et de votre travail.
Jolene Brown : Je suis une véritable agricultrice – de sorte que les agriculteurs savent que je comprends leur réalité quand je m’adresse à eux. Je suis aussi conférencière professionnelle depuis une trentaine d’années. Je parle de planification de la relève – tout en soulignant l’importance de savoir rire et célébrer quand on aborde cette question. J’ai l’habitude d’aller rencontrer les agriculteurs dans leur cuisine, et de discuter avec eux des difficultés et des succès de leur entreprise familiale.
Shaun Haney : Aujourd’hui, notre sujet est la planification de la relève agricole familiale – un sujet qui évoque spontanément les drames déchirants auxquels donne fréquemment lieu la transition d’entreprises agricoles. Ce qui m’amène à ma première question : peut-on faire en sorte que cette transition soit une expérience positive ?
Jolene Brown : Bien sûr. En fait, cela peut être très agréable, mais il faut pour cela que certaines conditions soient réunies, dont l’objectif commun de rendre hommage à la famille et à l’entreprise. Souvent, pour faire comprendre la nécessité de cet objectif, je réunis les membres de la famille autour de la table de cuisine et je leur demande de jouer l’un après l’autre le rôle du mort. Je dis au père de famille : « Vous êtes mort ! Et donc, vous ne pouvez pas parler. Voyons maintenant ce que fera la famille. » Puis, c’est au tour de la mère. « Oh, mon Dieu, maman est morte ! » Et ainsi de suite : le fils aîné, la fille, les belles-filles et les autres employés clés de l’entreprise familiale. Il est important de jouer le jeu de façon réaliste ; l’expérience positive que nous voulons créer en dépend. Et il faut garder à l’esprit l’objectif commun : honorer la famille et tenir compte de l’intérêt de l’entreprise. Ce jeu de rôle indique par où il faut commencer pour cela. Deuxième condition préalable, il faut décomposer la situation globale en plusieurs éléments, qui seront ainsi plus faciles à gérer. Ce fractionnement permet aussi de voir les progrès accomplis. Chacun peut se dire : « D’accord pour moi en ce qui concerne cet aspect. » Il est donc essentiel d’avoir de bons conseillers, ou de savoir comment s’y prendre pour décomposer un processus afin de le rendre plus facile à gérer. En somme, pour créer une expérience positive, il faut que tous voient les choses du même œil, et aient vraiment à cœur d’assurer la pérennité de l’entreprise – tant les détenteurs d’actifs que les personnes qui désirent se joindre à l’entreprise. Ensuite, il faut se demander : « Pourquoi faisons-nous cela ? » En général, quelqu’un répond alors : « Parce que je vais mourir. » Effectivement, c’est une très bonne raison ! Voilà pourquoi il est bon de « jouer au mort ». Cela permet d’entrevoir les conséquences d’un décès. En troisième lieu, il faut se demander quand on compte effectuer la transition. Et l’on ne parle pas ici uniquement de la main-d’œuvre, mais aussi de la gestion, de la direction et de la propriété de l’entreprise. Cela me fait penser à un homme de 80 ans qui m’a dit : « Un jour, lorsque je mourrai, je voudrais transférer une partie de la ferme à mon garçon. » Je lui ai répondu : « Lorsque vous mourrez ?! Il est temps d’y penser ! D’autant plus que votre garçon a 60 ans ! » Bref, il faut planifier le moment de la transition – et se demander à qui on va passer les rênes. Qui est la personne sur qui on peut compter parce qu’on l’a formée à cette fin ? Qui a mérité de prendre en charge l’entreprise familiale ?
Shaun Haney : Jolene, tout cela exige beaucoup d’honnêteté. Sinon, la discussion est très rapidement vouée à l’échec, n’est-ce pas ?
Jolene Brown : Effectivement. Et la façon de maintenir un climat de franchise est d’écrire ce que les gens disent. Ainsi, au besoin, je peux intervenir en disant : « Oh… mais ce que vous disiez plus tôt, est-ce que vous le pensiez vraiment, ou parliez-vous simplement pour parler ? Si votre déclaration reflète votre intention, nous allons la mettre en pratique. » Il est important que les gens puissent se décharger de ce qui leur pèse sur les épaules, et dépasser le stade de l’émotion pour en arriver à une attitude rationnelle – et l’honnêteté est un important facteur pour faciliter ce processus. Je suis assez connue dans le secteur agricole, les gens savent comment je travaille. Et donc ils savent que s’ils font appel à moi, l’honnêteté fera partie des règles du jeu. Et l’un des avantages de se parler en toute franchise, c’est qu’il en résulte beaucoup de soulagement, et que cela permet de célébrer ensemble et de s’apprécier. Cela élimine les craintes du genre : « Oh non ! Je vais devoir dire quelque chose, sinon ils ne m’adresseront plus jamais la parole ! » En définitive, c’est ce qui permet de rendre hommage à la famille et à l’entreprise.
Shaun Haney : Et que faut-il faire d’autre pour assurer le succès de la transition ? Je réalise d’ailleurs que vos conseils sont valables pour n’importe quelle entreprise familiale – qu’il s’agisse d’une ferme ou d’un commerce de détail, car les défis à relever sont les mêmes. Quelles sont les principales stratégies ou mesures à mettre en pratique pour assurer une transition réussie ?
Jolene Brown : Selon moi, il faut fondamentalement prendre la décision consciente d’agir ensemble en tant que famille centrée sur l’entreprise, plutôt que l’inverse. Je parle à une foule de gens, par téléphone, par courriel ou en personne, et dans au moins 98 % des cas, ce sont des gens qui considèrent que leur entreprise doit être centrée sur la famille. Ils veulent à tout prix éviter de faire des vagues, de mettre papa en colère ou de créer une impression de cupidité. Leurs comportements continuent d’être dictés par des espoirs, des idées et des traditions qu’ils n’ont pas réévalués. Parfois, cela donne de bons résultats, mais j’attribue cela à la chance. Toujours est-il que je ne vois rien de dévalorisant à se comporter comme une famille centrée sur son entreprise. Cela ne veut pas dire que l’on considère l’entreprise comme plus importante que la famille. En fait, c’est tout le contraire, car l’une des meilleures façons d’honorer la famille est de se consacrer à la prospérité de l’entreprise familiale – qui doit se développer, gagner de la valeur comme patrimoine et être entre les mains de personnes compétentes et responsables. Une fois ces conditions réunies, les choses se mettent à évoluer. Bref, le succès de la transition passe avant tout par la décision consciente de créer une entreprise qui, par son efficacité, rendra hommage à la famille. En deuxième lieu, il faut garder à l’esprit que pour qu’un engagement ait du poids, il doit être mis par écrit. Une conversation n’est pas un contrat, comme nous le savons tous. Je le répète depuis des années. Souhaiter, espérer, entrevoir l’avenir dont on rêve, c’est très bien, mais cela ne suffit pas. Un jeune homme avec qui j’ai discuté la semaine dernière l’a appris à ses dépens. « Jolene, m’a-t-il dit, j’avais toujours pensé que la parole de mon père suffisait comme engagement, mais j’ai réalisé que ce n’était pas le cas. » Il est très important de mettre les choses sur papier, et souvent de rédiger un document légal. Enfin, troisième point, ne vous fiez pas à un testament pour assurer le succès de la transition – car un testament peut changer au gré de l’humeur du signataire. Lorsqu’il n’existe pas de contrat d’achat-vente dûment signé en dehors du testament, la lecture de celui-ci peut réserver de très mauvaises surprises – ayant des effets dévastateurs sur l’entreprise et la famille.
Shaun Haney : Effectivement, les conséquences peuvent être dramatiques.
Jolene Brown : N’avez-vous pas été témoin de telles situations ? Vous et moi avons vu des cas où des membres d’une même famille ne se sont plus jamais adressé la parole, et se sont enlisés dans un conflit qui a duré des générations. Ces choses arrivent parce que les gens omettent de prendre les mesures qui s’imposent lorsque tout va bien. Et lorsque surviennent les moments difficiles, la famille n’a pas à sa disposition les outils dont elle aurait besoin – et ne s’est pas dotée non plus d’une méthode simple de règlement des différends ou d’un code de conduite. Or, les gens de générations différentes n’ont pas les mêmes attentes. Comment alors déterminer la conduite à adopter comme entreprise ? Enfin, ce qui est plus grave encore, c’est que l’entreprise ne peut pas compter sur un leader disposé à rendre des comptes et à donner l’exemple. Les agriculteurs sont extrêmement efficaces dans tout ce qui touche la production. Ils en maîtrisent tous les éléments : mauvaises herbes, semences, races de bétail, moulées, finances, marketing. La production, c’est leur domaine. Toutefois, planifier la relève, gérer l’entreprise, diriger des gens, cela exige des compétences relationnelles. Qui possède de telles compétences ? Si je me fonde sur mon expérience, je dirais que le meilleur leader potentiel d’une entreprise familiale est parfois la belle-fille. Quand je leur dis, certains agriculteurs en ont presque une attaque – la belle-fille étant la dernière personne à laquelle ils songeraient à transmettre quoi que ce soit. Or, la belle-fille a plusieurs avantages : elle n’a pas étudié dans les mêmes écoles, elle n’a pas nourri les mêmes attentes, et elle redoute par-dessus tout de faire un faux pas – de sorte qu’elle fait tout à la perfection !
Shaun Haney : Peut-elle jouer le rôle de médiatrice – en maintenant une certaine harmonie entre les membres de la famille ?
Jolene Brown : Non. Je ne parle pas ici d’un rôle de médiatrice, mais bien de leader. Bien sûr, en tant que leader, la belle-fille peut être appelée à agir comme médiatrice. Mais sa force tient, selon moi, au fait qu’elle n’a pas étudié aux mêmes endroits que les autres membres de la famille, ne véhicule pas les mêmes traditions et les mêmes idées reçues, et craint par-dessus tout de faire des erreurs. Et donc, comme leader, elle fait tout à la perfection. Je vous donne un exemple. Dans une famille que j’ai conseillée, la belle-fille était clairement un leader potentiel de premier choix. Tous étaient d’accord sur ce point, car elle avait démontré sa capacité à prendre la relève comme chef de l’entreprise. Elle a donc pris les rênes, avec le soutien de tous. Moins de deux semaines plus tard, elle faisait économiser 60 000 $ à la famille en congédiant l’un des garçons, qui était alcoolique. En tant qu’employé, le jeune homme représentait un risque pour l’entreprise et pour la sécurité des personnes. La nouvelle chef d’entreprise a réuni la famille autour de la table de cuisine et a déclaré : « Nous devons lui donner de l’amour, du soutien et des ressources, mais vous devez comprendre que ce n’est pas à l’entreprise familiale qu’incombe la responsabilité de réadapter un membre de la famille. » Voilà un exemple éloquent de leadership dans un contexte difficile – et cela, sans négociation ni médiation. Une famille qui veut agir dans l’intérêt de son entreprise doit choisir la bonne personne comme chef d’entreprise. Elle doit aussi mettre certaines choses par écrit dans des documents indépendants des testaments.
Shaun Haney : Dans votre travail en planification de la relève agricole familiale, vous parlez de l’importance de la courtoisie. N’est-ce pas une exigence qui va de soi ? Pour quelle raison jugez-vous utile de rappeler la nécessité d’être courtois ?
Jolene Brown : Cela tient aux habitudes de comportement que l’on acquiert dans l’enfance au sein d’une famille, et qui demeurent présentes à l’âge adulte. Les façons d’agir les uns envers les autres ne sont pas nécessairement empreintes du respect que l’on accorderait à un collègue ou à un responsable dans une entreprise. La courtoisie, ce n’est pas seulement dire merci ou s’il vous plaît. C’est aussi savoir fermer les portes délicatement, répondre autrement qu’en levant les yeux au ciel, mettre fin à une conversation poliment – et éviter de parsemer ses phrases de jurons. Bref, on n’est pas censé adopter dans une entreprise familiale des comportements qui n’auraient pas leur place dans une autre entreprise. Pour obtenir des choses, il faut montrer qu’on apprécie ce qu’on a déjà. Notre attitude passe par nos paroles et nos actes. On gagne le respect d’autrui en répétant certains comportements – et non pas en se montrant charmant une journée et désagréable le lendemain. En somme, le défi de chacun consiste à se défaire de certaines habitudes. C’est comme cela qu’on fait sa place dans une entreprise.
Shaun Haney : Existe-t-il des règles incontournables ? Vous mentionniez le cas de cet homme de 80 ans qui n’avait pas encore passé la main à son fils, lui-même âgé de 60 ans. En vous basant sur l’expérience que vous avez acquise en parcourant l’Amérique du Nord, diriez-vous qu’il existe un moment qui convient particulièrement bien pour passer le flambeau au sein d’une ferme familiale ? Ou chaque situation est-elle unique ?
Jolene Brown : Chaque situation est unique. Toutefois, il est clair que certaines conditions doivent être réunies avant la transition. Selon moi, avant même de songer à donner ou à vendre une ferme familiale, six conditions très précises doivent être réunies. Il faut notamment que la personne appelée à prendre la relève soit emballée par le projet – qu’elle ait vraiment à cœur de jouer ce rôle. Un tel engagement n’est pas évident au départ. Il se révèle au fil du temps dans la façon dont la personne travaille et gère les choses, maîtrise certaines tâches, suit l’exemple que vous lui donnez, et soudain commence elle-même à diriger. Puis, un beau jour, votre propre carrière prend un tournant décisif quand vous vous mettez à travailler pour cette personne que vous avez formée. Ce processus est étroitement lié à l’objectif commun de voir l’entreprise continuer de prospérer. La transition peut s’étaler sur une période de 10 à 15 ans. Mais parfois, les choses se précipitent en raison d’un décès, d’une tragédie ou d’une invalidité. Voilà pourquoi j’insiste sur la nécessité d’avoir dans l’entreprise les bonnes personnes aux bons endroits – ou encore d’embaucher les bonnes personnes de manière à pouvoir effectuer la transition au moment voulu. Je songe à une conversation que j’ai eue avec un agriculteur. Il était emballé que son fils revienne travailler dans l’entreprise familiale après avoir obtenu son doctorat. « Formidable, lui ai-je dit. Et dans quel domaine ? » « L’hébreu », a-t-il répondu. Les études des jeunes sont un apport pour une entreprise familiale, mais cette fois j’ai eu des doutes ! Toujours est-il que les jeunes doivent acquérir une formation et s’initier aux tâches de la ferme familiale. Et ils doivent être passionnés, avoir vraiment envie de faire ce travail. J’aimerais faire une affirmation générale, en précisant bien sûr qu’il y aura des exceptions. Dans le monde d’aujourd’hui, tant qu’une personne n’a pas atteint l’âge de 28 ans environ, il est trop tôt pour dire si ce travail lui convient. Elle doit d’abord faire l’expérience des périodes difficiles et des succès, et prouver qu’elle peut apprendre, enseigner et travailler en équipe – et aussi que ce métier l’intéresse vraiment, qu’elle est passionnée. Elle doit être un atout pour l’entreprise, et se sentir efficace et valorisée par son rôle. Ce sont là quelques-uns des principaux critères à remplir.
Shaun Haney : D’accord. Nous avons beaucoup parlé des facteurs de succès de la transition, mais comme nous l’avons mentionné au début de notre conversation, nous entendons souvent des histoires plutôt tristes. Quelles erreurs les gens font-ils ? Quels sont les pièges les plus courants, les erreurs à éviter ?
Jolene Brown : La plupart des gens sont vraiment bien intentionnés ; toutefois, en l’absence de certitude, ils préfèrent ne rien faire. Cette inaction est extrêmement néfaste. C’est le principal problème auquel se heurtent les entreprises familiales. Or, celles-ci devraient savoir qu’une solution très bonne, bien qu’imparfaite, vaut mieux que rien du tout. Avant de signer un document, les gens attendent d’être absolument certains que chaque détail a été couvert. Ils ont peur de se commettre tant que tout n’est pas parfait. Ils veulent tout – mais ne font rien. L’inaction est en quelque sorte l’option par défaut. Souvent, j’invite des conseillers professionnels – comptable, avocat, planificateur financier – à s’adresser aux entreprises familiales après mes présentations. Une avocate m’a dit un jour : « Cette famille est venue à trois reprises, avec tous les documents nécessaires. Tous étaient très enthousiastes. Mais au moment de signer, ils ont préféré attendre. Ils voulaient être sûrs que tout soit parfait, couvrir toutes les possibilités. Bref, ils n’ont rien fait. Trois semaines plus tard, le père de famille a été victime d’un accident sur la ferme, et il est mort. Aucun document n’avait été signé. »
Shaun Haney : C’est terrible.
Jolene Brown : Le désir de faire les choses à la perfection ne doit pas empêcher l’action. Mieux vaut agir sans délai de façon à bénéficier d’une bonne protection, quitte à apporter des modifications plus tard. Cela fait avancer les choses. Un autre problème fréquent est l’omission de prendre en compte les besoins financiers des agriculteurs qui s’apprêtent à prendre leur retraite. Si vous êtes l’un de ces agriculteurs et que votre capacité d’assurer votre subsistance à long terme dépend de la ferme, vous refuserez de lâcher prise. Vous interviendrez constamment dans les détails, car vous ne voudrez pas laisser d’autres membres de la famille mettre votre sécurité en péril. Vous vous direz : quoi, ils veulent acheter d’autres terres ? Mais est-ce qu’ils sont en mesure de me payer ? Ils veulent faire telle chose, mais qu’arrivera-t-il si j’ai besoin d’aide pour payer des soins de longue durée ? Ils veulent acheter un tracteur, mais vont-ils s’occuper de mes besoins ? Un agriculteur dans cette situation ne laissera jamais personne d’autre devenir propriétaire de sa ferme, car sa sécurité est en jeu. Donc, il faut prendre des mesures pour assurer la sécurité financière future de la génération d’agriculteurs qui s’apprête à laisser sa place. Malheureusement, de nombreuses entreprises familiales ne prennent pas de mesures en ce sens. Cela m’amène à dire aux agriculteurs qui se retirent : « Gardez à votre nom certains actifs afin qu’ils ne puissent pas être utilisés comme garanties par l’entreprise. Vous méritez cette sécurité. » Il faut assurer la sécurité financière de ces personnes. Un autre obstacle important que j’aimerais mentionner est le manque de transparence entourant la transition. Les gens se disent : « Il faut garder les choses secrètes, surtout dans la famille ! » Imaginez ! Un jour, un père et une mère de famille m’ont demandé conseil. Ils étaient en train de transférer des actifs. « Nous faisons constamment des dons aux enfants qui travaillent dans l’entreprise, m’a dit la mère. Leurs frères et leurs sœurs seraient furieux s’ils l’apprenaient ! » On a envie de leur répondre : « Ah oui, ils seraient furieux ? Et vous préférez qu’ils le soient à votre décès ? Ne pensez-vous pas qu’il serait bon d’expliquer, de votre vivant, comment vous voyez les choses ? » Le testament d’une personne, c’est son affaire – sauf lorsque la transmission d’actifs inclus dans la succession met en péril l’avenir de l’entreprise familiale. Le testament devient alors l’affaire de tous, et tous doivent connaître les règles du jeu. Il faut que les membres de la famille puissent discuter de la situation et tenir des réunions au sujet de l’entreprise familiale.
Shaun Haney : J’aimerais mentionner un type de situation que j’ai observé à deux reprises. Une entente avait été signée au sujet de la transition de l’entreprise familiale. Tout était clair. Toutefois, la valeur des terres a ensuite grimpé. Voyant cela, cinq ou dix ans plus tard, le père et la mère ont déchiré le document, déclarant : « Nous allons tout reprendre à zéro. »
Jolene Brown : On ne devrait pas déchirer une entente sans avoir décidé de ce qui doit la remplacer.
Shaun Haney : Très juste.
Jolene Brown : Autrement, on revient malheureusement au scénario que je mentionnais plus tôt : ne rien faire sous prétexte qu’on n’a pas trouvé de solution parfaite. Une fois déchirée, l’entente cesse d’être valide, à moins qu’il existe ailleurs un autre original du document. Je repense au jeune homme qui m’a dit : « J’ai eu tort de croire que l’engagement pris de vive voix par mon père serait suffisant. » Comme beaucoup d’autres, son père a fait l’erreur de ne pas mettre les choses par écrit. Dans le cas que vous mentionnez, la valeur des terres a augmenté ; en ce moment, on observe plutôt un fléchissement de ce côté. En agriculture, les risques sont nombreux. Il faut réfléchir aux façons de les atténuer. Et il faut faire face aux questions d’équité qui se posent. Si l’avenir de votre entreprise vous tient à cœur, vous devez vous demander à qui vous passerez le flambeau, et aussi penser aux intérêts des membres de la famille qui ne font pas partie de l’entreprise. Comment allez-vous tenir compte de ces personnes ? Il faut réfléchir à tout cela. Vous savez, en cas de conflit entre l’émotion et la logique, c’est l’émotion qui l’emporte. Il faut donc commencer par régler les difficultés d’ordre émotif si l’on veut pouvoir aborder les choses d’un point de vue rationnel. Cela nous ramène aux questions que l’on doit se poser au départ pour savoir si la transition pourra se faire sans anicroche. La première de ces questions est : « Avons-nous vraiment à cœur d’assurer la pérennité de l’entreprise ? » On ne peut pas se contenter de répondre « peut-être » ou « nous allons essayer » ; un oui sans équivoque s’impose. Deuxième question : « Pourquoi faisons-nous cela ? » Les agriculteurs de chacune des générations concernées doivent savoir ce qui les motive. Enfin, troisième question : « Quand voulons-nous effectuer la transition pour ce qui touche tant la main-d’œuvre que la gestion, la direction et la propriété de l’entreprise ? » Et pour que la transition soit équitable, il faut garder à l’esprit que certaines personnes ont pu accepter de ne recevoir qu’une très faible rémunération en retour d’une promesse du genre : « Tout cela sera à toi un jour. » Le jour en question doit arriver chaque année ; ainsi, le transfert se fait de façon échelonnée plutôt qu’en une seule fois. Par ailleurs, il arrive que la relève soit assurée par des gens qui ne sont pas membres de la famille. Personnellement, j’aime qu’une bonne partie de l’entreprise – au moins 51 % – reste entre les mains de personnes qui y travaillent déjà, parce que celles-ci la connaissent bien.
Shaun Haney : Jolene, nous pourrions poursuivre cette discussion pendant des heures, tellement ce sujet est important. Mais nous allons devoir nous arrêter ici. Merci d’avoir participé à cette baladodiffusion de la série L’entreprise agricole. J’espère avoir bientôt le plaisir de discuter de nouveau avec vous.
Jolene Brown : Ce sera un plaisir. J’espère que vos auditeurs feront le choix d’honorer leur famille et de veiller sur les intérêts de leur entreprise.
Shaun Haney : Quel plaisir que de discuter avec Jolene sur cette question ! Son message est tellement convaincant. L’une des choses que je retiens est que si, en tant que membres d’une même famille d’agriculteurs, nous voulons discuter efficacement de la relève de l’entreprise familiale, nous devons d’abord nous demander ce que nous voulons. Quel avenir voulons-nous créer pour l’entreprise en concluant une entente ? Nous devons faire preuve de compassion, de respect et, par-dessus tout, d’un désir de communiquer franchement. Je souhaite bonne chance à tous nos auditeurs. Amorcez cette discussion dès aujourd’hui. N’attendez pas. Comme Jolene l’a expliqué, il n’y a rien de pire que de ne rien faire. C’est maintenant qu’il faut commencer à discuter afin de créer les conditions qui assureront le succès de la transition de votre entreprise familiale. Voilà qui conclut ce douzième épisode de la série L’entreprise agricole. Mon nom est Shaun Haney, de RealAgriculture.com. Je vous remercie de votre attention. Merci à Jolene Brown. Je tiens aussi à remercier tout particulièrement RBC, notre commanditaire au cours de cette série. Merci beaucoup.
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