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De nos jours, les risques associés aux activités agricoles sont plus grands que jamais auparavant. Toutefois, ils s’accompagnent parfois d’occasions avantageuses. Au cours de cet épisode de la série L’entreprise agricole, nous recevons M. Michael Boehlje, professeur distingué d’agroéconomie au Centre for Commercial Agriculture de l’université Purdue, avec qui nous discutons des sources de risque, des stratégies permettant de gérer les deux types de risque (opérationnel et stratégique), ainsi que des façons de tirer avantage du potentiel d’incertitude par l’élaboration d’un modèle de gestion du risque.
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La série L’entreprise agricole, qui vous est offerte sur le site RealAgriculture.com, est une présentation de RBC Banque Royale.
KH : Bienvenue à ce troisième épisode de la série L’entreprise agricole. Encore une fois, nous tenons à remercier RBC de commanditer cette série portant sur la gestion d’une entreprise agricole et présentée sur le site RealAgriculture.com (site en anglais seulement). Je suis Kelvin Heppner. Aujourd’hui, nous allons parler de gestion du risque : comment faire pour gérer les risques sur une ferme ? La question peut sembler ambitieuse, et même difficile à aborder concrètement. Mais il demeure que pour gérer les risques – peu importe leur type –, il faut d’abord savoir qu’ils existent et pouvoir cerner ceux qu’on court. Cela me rappelle une citation célèbre de l’ancien secrétaire à la Défense des États-Unis, Donald Rumsfeld, qui classait l’information selon trois catégories : les choses connues connues, les choses inconnues connues, et les inconnues inconnues. En agriculture, dans bien des cas, nous disposons d’outils pour nous protéger contre les risques courants – c’est-à-dire les risques connus, que j’appelle parfois les risques opérationnels. Toutefois, qu’en est-il des choses inconnues inconnues ? Est-il possible pour une entreprise agricole de se positionner de manière à être protégée contre de tels risques ? Nous allons en discuter avec M. Michael Boehlje, professeur distingué d’agroéconomie au Centre for Commercial Agriculture de l’université Purdue. En sa compagnie, nous allons cerner les risques auxquels votre entreprise agricole est exposée, ainsi que les façons de vous protéger. Mais aussi, et surtout, notre invité va nous expliquer comment l’incertitude, ou une situation qui semble risquée, peut souvent présenter des occasions à saisir. Comme il l’explique, les périodes plus lentes sont souvent particulièrement fertiles en occasions de qualité.
Nous accueillons Mike Boehlje, du Centre for Commercial Agriculture de l’université Purdue. Mike, nous parlons de gestion du risque et de risque financier sur une ferme. Avant de pouvoir gérer les risques, il va de soi que nous devons les cerner – et certains risques sont plus évidents que d’autres. Que suggérez-vous aux agriculteurs pour cerner, dans un premier temps, les risques auxquels leur entreprise est exposée ?
MB : C’est vraiment un point important si l’on songe aux divers types de risques présents dans le secteur agricole. La plupart des agriculteurs connaissent assez bien les risques opérationnels liés à leurs activités. Ces risques se répartissent en deux grandes catégories. D’une part, il y a les risques associés aux activités de production de l’entreprise – ceux qui sont associés aux rendements et à la productivité, à l’efficacité, aux insectes, aux conditions météorologiques ; ce sont des risques assez clairs. D’autre part, il y a les risques financiers, qui sont un peu plus difficiles à saisir. Bien sûr, la production et les autres risques liés aux activités ont un impact sur les risques financiers. Mais quand on parle de risques financiers, on fait référence à tout un processus d’analyse des risques liés non seulement à la rentabilité de l’entreprise, mais aussi à la capacité de cette dernière de se prémunir contre les risques au moyen des liquidités auxquelles elle a accès, ainsi que par sa résilience face aux tensions financières auxquelles certains secteurs de l’agriculture – et en particulier le secteur des grains – semblent être soumis davantage qu’il y a trois ou quatre ans. Et il y a toute la question de l’utilisation des dettes, du risque de taux d’intérêt et des risques de ce genre... Mais il y a aussi une seconde grande catégorie de risques auxquels nous ne pensons pas suffisamment : les risques stratégiques. La probabilité que ces risques se concrétisent est plutôt faible, mais lorsque cela se produit, les conséquences financières peuvent être dévastatrices. Ces risques peuvent vraiment faire beaucoup de mal à une entreprise agricole. L’exemple le plus éloquent est celui que nous observons en ce moment aux États-Unis, et dans une moindre mesure au Canada, à savoir les dommages que cause la grippe aviaire dans l’industrie de la dinde et des œufs. Par le passé, nous avons vu ce genre de situation dans l’industrie du porc, ainsi que dans les dommages causés par divers organismes nuisibles. Certaines de ces situations sont liées à des risques de maladies que nous connaissons relativement peu en raison de leur apparition récente. Donc, il n’est pas facile de prévoir et d’atténuer ces risques – et nous ne les avions tout simplement pas vus venir avec assez de clarté. En remontant quelques années en arrière, nous nous rappelons le risque associé, par exemple, à l’ESB, ou maladie de la vache folle. Personne n’avait même songé aux effets qui pourraient en résulter. De telles maladies ont un impact profond non seulement sur les entreprises agricoles, mais aussi sur l’ensemble de la dynamique du marché. En somme, nous faisons face à des risques difficiles à prévoir, mais nous devons quand même nous positionner afin de pouvoir en absorber ou en réduire les impacts si jamais ces risques se concrétisent.
KH : En somme, vous abordez la notion de « cygne noir », selon laquelle il risque de se produire des choses inconnues dont la possibilité même nous échappe.
MB : Exactement. Vous faites référence à M. Taleb et à son livre Le cygne noir. L’ensemble du propos de ce livre est fondé sur l’idée que personne n’avait imaginé que des cygnes puissent être noirs – parce que les cygnes avaient toujours été blancs. Or, un beau jour, en Australie, on a découvert un cygne noir. Et tout le propos de l’auteur s’appuie sur ce fait comme métaphore. En fait, une foule de gens comprennent mal l’idée de l’auteur lorsqu’ils concluent que, selon lui, nous devrions consacrer beaucoup plus de temps à essayer de prévoir les « cygnes noirs ». Or, ce que dit réellement M. Taleb, c’est : « Ne perdez pas votre temps à tenter de prévoir les cygnes noirs – c’est impossible. Cherchez plutôt à vous positionner en tenant compte de la possibilité qu’un cygne noir apparaisse. » Donc, vous pouvez vous positionner d’une façon qui non seulement vous évitera les conséquences d’un événement négatif imprévu, mais vous conférera une souplesse grâce à laquelle vous pourrez saisir des occasions à la fois imprévues et très riches en possibilités. Bref, l’auteur a une vision très intéressante du monde. On peut la résumer en disant que tous les entrepreneurs semblent essayer de planifier leurs activités en fonction de ce qu’ils prévoient même si, dans les faits, les prévisions se réalisent rarement. Nous voyons rarement se concrétiser nos projections de prix, de rendement ou de productivité. Selon l’auteur, l’important est de centrer notre attention sur les queues de distribution du rendement, des prix ou de toute autre variable liée à des événements futurs potentiels – par exemple, des phénomènes météorologiques comme des pluies importantes ou faibles, ou des températures élevées ou faibles. L’auteur encourage vivement les gens à adopter une approche tenant compte de multiples possibilités. Il les incite à rechercher des façons de réduire leur exposition aux risques tout en se positionnant pour tirer avantage de toute évolution favorable touchant une distribution – qu’il s’agisse de prix, de phénomènes météorologiques, de rendement ou d’autres facteurs –, au cas où une telle évolution se produirait. C’est là un aspect très important du processus de gestion du risque.
KH : Vous parlez d’un processus. Existe-t-il un processus permettant à une ferme de se positionner contre les risques associés à la queue d’une courbe ?
MB : En premier lieu, je tiens à mentionner qu’il existe des façons de réfléchir à l’approche à adopter. Nous ne parlons pas ici d’une marche à suivre traditionnelle en sept étapes qui permettrait d’éliminer tous les risques. Ce n’est pas du tout la façon de procéder. Il faut plutôt essayer d’amorcer une réflexion fondée sur ce que nous appelons parfois un « modèle intellectuel ». Et la première étape de ce modèle consiste à cerner les principaux risques auxquels vous êtes exposé. De quels types de risques s’agit-il ? Quels sont ceux qui constitueront les principales menaces pour votre entreprise ? Quelles sont les conséquences ou les situations auxquelles vous pourriez avoir à faire face ? Et aussi, parallèlement, quelles sont les occasions qui pourraient se présenter à vous ? J’aimerais faire une parenthèse pour mentionner que lorsqu’il est question de risque, on est très facilement porté à penser aux choses négatives qui pourraient se produire. C’est notre premier réflexe. Mais, en fait, nous devrions voir les choses sous l’angle d’une plus grande incertitude – et l’incertitude peut être envisagée en tenant compte des possibilités tant positives que négatives qu’elle recèle. En ce sens, il ne faut pas négliger les possibilités qui sont associées à la volatilité – et il ne faut pas nécessairement centrer toute notre attention sur le négatif qui pourrait surgir. En somme, dans un premier temps, nous cernons les principaux risques que court une entreprise, puis nous réfléchissons aux conséquences possibles de la volatilité. Nous nous interrogeons sur les effets possibles – positifs ou négatifs – que des événements futurs potentiels, mais impossibles à prévoir, pourraient avoir sur la rentabilité de l’entreprise. En fait, nous devons déterminer s’il vaut la peine de consacrer autant de temps à cette analyse ou si nous sommes simplement exposés à des risques qui pourraient nous nuire sans toutefois causer de graves dommages à notre entreprise. Pour répondre à cette question, nous avons parfois recours à ce qu’on appelle l’analyse de scénarios. Nous envisageons différentes évolutions futures, puis nous cherchons à nous positionner, ou à élaborer une stratégie, afin d’atténuer les conséquences négatives des événements susceptibles de se produire et de nuire à notre entreprise. Et parallèlement, nous nous assurons que notre stratégie comporte aussi un élément qui nous permettra de rebondir si jamais de tels événements en viennent à se produire – de manière à pouvoir tirer avantage des occasions qui se présentent dans de telles situations. Encore une fois, je le répète, nous devons d’abord porter attention aux risques importants, ceux qui peuvent avoir un impact majeur sur le succès à long terme de notre entreprise ; en second lieu, il ne faut pas tenter de prévoir de façon certaine ce que l’avenir nous réserve, car nous ne le savons tout simplement pas.
KH : Vous avez dit qu’il faut déterminer s’il vaut la peine ou non de se préoccuper de certaines choses. Comment faire pour trancher ? Il va de soi que la gestion du risque implique souvent des coûts, et cela soulève toute la question des assurances à souscrire. Jusqu’où faut-il aller ? Comment déterminer si les protections qu’on a sont suffisantes ?
MB : Vous avez raison. Nous employons parfois une expression assez spécialisée, mais qui permet de faire le lien avec la réalité des entreprises : quand nous cherchons à quantifier financièrement le risque potentiel que court une entreprise, nous nous demandons quelle est la valeur à risque. En d’autres termes, à combien les pertes de l’entreprise pourraient-elles se chiffrer dans l’éventualité d’une évolution négative des choses ? Et nous nous interrogeons sur le rapport entre la valeur à risque et la valeur totale ou le revenu total de l’entreprise ; pour nous, c’est un indicateur financier de première importance. Est-ce qu’un risque donné, s’il se concrétise, peut réduire la valeur de notre actif de 2 %, de 1 %, de 5 %, ou de 20 % ? Cette question nous aide à déterminer si le risque est assez important pour retenir notre attention. D’autre part, si vous examinez le ratio risques-avantages d’un point de vue positif, en vous disant « Si je prends ce risque… » (c’est d’ailleurs ce que vous faites dans certains cas, prendre un risque afin de faire plus d’argent), vous vous demanderez si le jeu en vaut la chandelle. Une personne qui prend un risque important s’attend à ce que l’avantage potentiel soit intéressant. Si nous revenons maintenant à la question des stratégies pouvant être utilisées dans ce contexte, il est clair que l’assurance en fait partie. L’assurance permet de réduire certains risques de nature surtout opérationnelle auxquels votre entreprise pourrait être exposée. Il existe des marchés permettant de transférer ces risques à quelqu’un d’autre. Pour gérer les risques, vous pouvez avoir recours à quatre stratégies. La première consiste à transférer les risques à d’autres – par exemple, en prenant une assurance, en effectuant des opérations de couverture ou en utilisant des contrats à terme normalisés. Vous pouvez aussi établir une coentreprise avec un partenaire, et ainsi partager les risques avec ce dernier. Cela atténue les conséquences éventuelles. Il peut s’agir d’une coentreprise, d’une alliance stratégique ou d’un autre type d’entente. L’objet est de vous permettre, à vous et à votre partenaire, de tirer parti des évolutions positives – et, parallèlement, de réduire pour chacun les risques de conséquences négatives au cas où celles-ci seraient de grande ampleur. La troisième stratégie possible consiste à positionner votre entreprise de façon à ce qu’elle soit en mesure d’absorber toute évolution négative potentielle. En somme, il s’agit de rendre l’entreprise assez résiliente pour faire face à une telle évolution. Pour cela, on dote l’entreprise d’une structure financière destinée à lui permettre de composer avec des pertes sans que sa survie soit menacée. On s’assure que son niveau d’endettement soit faible ou qu’elle dispose de ressources en cas de besoin. C’est la raison pour laquelle nous conservons des stocks d’aliments pour notre bétail. En cas de mauvaise récolte, nous ne voulons pas dépendre du marché pour nous approvisionner. Nous pouvons être autonomes sur ce plan. En somme, il s’agit de bien positionner l’entreprise en conservant des réserves, ou une certaine souplesse, ou une capacité d’emprunt – ce positionnement permet d’absorber les risques. La quatrième stratégie consiste à dire : « Pas question ! Je m’en vais d’ici…! Je me retire de cette activité. Ce n’est pas pour moi. » Cela s’impose lorsqu’on sent que le risque est trop élevé. Par exemple, acheter des bovins d’engraissement et se charger soi-même de la finition en parc d’engraissement : cela comporte trop de risques. Je n’en parle pas comme d’une vérité absolue, mais, pour être parfaitement honnête, c’est une entreprise passablement risquée à l’heure actuelle – le jeu n’en vaut tout simplement pas la chandelle. Je vous donne un deuxième exemple. Dans le Midwest, de nombreux agriculteurs se sont mis à transporter leur grain eux-mêmes au moyen de semi-remorques ; puis, désireux d’utiliser ces camions toute l’année, et non pas seulement à l’époque des récoltes, ils ont mis sur pied leur propre entreprise de camionnage. Et ils ont fait du camionnage toute l’année jusqu’à ce que certains mettent le holà, se disant : « Un instant ! La responsabilité que nous prenons en faisant du transport pour autrui est tout simplement trop importante – nous allons nous retirer de cette activité. Et nous allons cesser de faire du camionnage non seulement pour autrui, mais aussi pour nous-mêmes. Nous allons confier à d’autres le soin de transporter notre grain. Nous allons signer un contrat avec une entreprise spécialisée qui nous promettra d’être sur place chaque fois que nous le désirerons. Ainsi, les camions seront aussi disponibles que si c’étaient les nôtres, mais sans que nous soyons exposés à d’énormes risques – comme celui d’une poursuite de plusieurs millions de dollars si jamais l’un de nos camions blessait quelqu’un sur la route. » Voilà pourquoi je dis que, dans certains cas, gérer le risque signifie tout simplement se retirer d’une activité.
KH : Est-il possible d’adopter une approche globale en matière d’évaluation des risques – une approche tenant compte des risques tant opérationnels que stratégiques ? Est-ce qu’une telle approche globale pourrait, selon vous, compenser sur un plan les risques courus sur un autre plan ?
MB : Effectivement. Il y a deux choses… Permettez-moi d’approfondir un peu ici… Ce que nous recommandons aux agriculteurs, c’est de commencer par effectuer ce que nous appelons une évaluation des risques. Essentiellement, cela signifie chercher à cerner les principales sources ou catégories de risque dans votre entreprise. Donc, cela ne se limite pas aux risques traditionnels sur lesquels les gens se concentrent parfois – à savoir les risques liés aux prix, à la productivité, à l’efficacité, à la responsabilité, à l’intervention humaine, etc., qui sont les sept types traditionnels de risque définis par le ministère de l’agriculture américain. En fait, j’ai un formulaire d’évaluation des risques qui comporte 15 questions nous permettant de nous faire une idée des risques que court une entreprise. Pour certaines entreprises, nous utilisons aussi une méthode d’évaluation plus détaillée, qui examine 122 sources différentes de risque, notamment le risque associé au non-respect de la réglementation gouvernementale. Si, par exemple en agriculture biologique, vous produisez des légumes ayant des caractéristiques particulières, vous devez prendre en considération les possibilités de non-respect de la réglementation gouvernementale. On peut aussi songer, par exemple, aux règles en matière de conservation, ou à celles qui s’appliquent aux producteurs liés par contrat à une usine de transformation. Quels sont les risques associés à la sécurité alimentaire et les autres risques de ce type ? En somme, les questions à se poser couvrent un éventail très large. Cette évaluation des risques est essentielle. Il faut déceler le risque potentiel dans chacune des catégories – en se demandant à quels types de risques financiers on est exposé. Et parfois, au départ, le risque n’est pas financier, et il s’agit plutôt d’un risque de réputation ou de contrepartie. Ce type de risque se concrétise lorsqu’on est lié par contrat à quelqu’un qui ne remplit pas ses obligations. Le risque de contrepartie est donc un aspect très important. L’usine de transformation peut faire faillite… Vous avez un contrat, mais l’autre partie est en faillite… Nous avons vu de tels cas aux États-Unis et partout dans le monde. Vous savez, Pilgrim’s Pride était liée par contrat à ses producteurs polonais, qui ont quand même dû fermer boutique. Quelle est l’utilité d’un contrat lorsqu’on est obligé de fermer boutique ? Voilà pourquoi il faut examiner les types de risques auxquels on est exposé, ainsi que les sources de ces risques ; ensuite, il faut aussi se demander quels sont les outils, les techniques et les procédures qu’on peut utiliser pour gérer ces risques. Et, comme nous l’avons vu, c’est une démarche complexe. On ne peut pas simplement se dire : « Nous devrions nous couvrir, acheter des contrats à terme de gré à gré, prendre de l’assurance... » Il y a une foule d’autres choses à faire. Dans le cadre du processus d’évaluation, il faut aussi se demander qui a la responsabilité de mettre en œuvre la stratégie. Est-ce le chef de la direction ? Ou est-ce un autre membre de l’entreprise qui a pour tâche de neutraliser les risques cernés ? Le conducteur de la moissonneuse-batteuse a une certaine responsabilité, car il doit s’assurer que la machine est bien nettoyée, de façon à éliminer les risques de contamination. Nous ne voulons pas de mélange entre nos grains de spécialité et nos autres grains, ni aucune autre forme de contamination, n’est-ce pas ? Bref, l’opérateur de la machine a la responsabilité de gérer et de réduire certains risques. Il nous incombe donc de lui donner des directives concernant les procédures de nettoyage de la moissonneuse-batteuse. Toutefois, c’est lui qui a pour tâche quotidienne ou hebdomadaire de s’assurer que ce soit fait. Voilà le type de choses que nous cherchons à faire à l’étape de l’évaluation des risques. C’est un processus systématique consistant à déterminer les sources de risques, les risques auxquels l’entreprise est potentiellement exposée, les techniques permettant de gérer ces risques, ainsi que les personnes responsables de l’application de ces techniques.
KH : Enfin, Mike, j’aimerais que nous discutions du contexte général, des changements et des tendances que vous observez en matière de gestion du risque dans le secteur agricole nord-américain. Et aussi… avez-vous connaissance de nouveaux outils ou de nouvelles options pouvant aider les agriculteurs à adapter leur méthode de gestion du risque à leurs activités ?
MB : Permettez-moi de prendre les choses par le début… du moins en ce qui concerne le contexte d’affaires actuel en Amérique du Nord, particulièrement dans le secteur des grains. De nombreux agriculteurs suivent de très près le ralentissement économique auquel nous sommes confrontés, en particulier dans le secteur des cultures, et ils se demandent quelles sont les options qui s’offrent à eux pour gérer le risque de liquidité, le risque de flux de trésorerie, le risque lié au service de la dette, ainsi que les autres risques auxquels ils sont exposés dans ce contexte. À l’heure actuelle, ces risques et les façons possibles d’y remédier sont la préoccupation première d’une foule de producteurs de grain – et en ce moment, ces producteurs ne peuvent pas gérer ces risques en bloquant leurs marges. Et que pourront-ils faire dans un contexte de marges négatives ? Il faut commencer à réfléchir à d’autres moyens de réduire les risques d’inconvénients futurs auxquels on est exposé. Et peut-être vaut-il mieux pour un agriculteur subir des pertes fixes, à des niveaux qu’il n’aurait jamais envisagés, que s’exposer à des inconvénients encore plus importants.
Pour revenir à votre question, je crois que les agriculteurs vont devenir de plus en plus conscients du large éventail d’outils de gestion du risque qui s’offrent à eux. Verrons-nous de nouveaux outils faire leur apparition ? Bien sûr, il en apparaît toujours, mais, très franchement, bon nombre de ces nouveaux outils ne sont pas utiles pour gérer les risques stratégiques. Face à ce type de risques, les agriculteurs doivent faire autre chose que rechercher des solutions simples. Ils doivent se doter d’un plan d’urgence et élaborer des stratégies tenant compte de diverses évolutions des choses. Ils doivent accroître la souplesse de leur entreprise, de façon à pouvoir tirer profit des nouvelles occasions qui se présenteront. Donc, nous ne parlons pas d’un outil, mais bien d’une manière de faire des affaires. Il faut que l’organisation au complet comprenne la façon de prendre des décisions – et, pour cela, il faut la doter d’une structure de gouvernance, d’une structure de gestion, qui lui permettra de porter constamment attention à son environnement et de saisir des occasions qui se présenteront. C’est un état d’esprit, et non pas une réaction du genre : « Oh ! tout ce que j’ai à faire, c’est d’augmenter ma couverture d’assurance – et le problème sera réglé ! » Bref, nous continuerons de voir apparaître des techniques et des méthodes nouvelles pour gérer les risques opérationnels. Par exemple, certaines entreprises de produits chimiques mettent sur le marché des produits assortis de garanties et d’autres types de protection en cas de rendement insatisfaisant. Il y aura toujours des innovations ; mais il s’agira sans doute principalement de façons de gérer l’entreprise, plutôt que d’« outils » pouvant être achetés par un agriculteur et censés lui permettre de continuer de gérer sa ferme comme il l’a toujours fait.
KH : Je crois que nous pouvons conclure en reprenant votre affirmation selon laquelle les risques sont associés non seulement à des inconvénients, mais souvent à des occasions – et la gestion d’une entreprise peut lui permettre à la fois de se mettre à l’abri des inconvénients et de se positionner avantageusement pour saisir ces occasions.
MB : Oui. Je vais aborder les choses sous un angle légèrement différent afin de souligner un point important. Les périodes de ralentissement dans un secteur sont celles où surgissent certaines des occasions les plus attrayantes. Cela tient au fait que la tendance générale des gens est de se mettre en mode « attente » et de ne plus plus rien faire : on se préoccupe de survivre au ralentissement et on remet à plus tard le moment de l’action. Pourtant, c’est justement au cours de ces périodes que les entreprises positionnées avantageusement sont le plus susceptibles de saisir des occasions – en faisant des choses que toutes les autres désireraient faire si le contexte était favorable. Or, comme on sait, les occasions qui surgissent dans un contexte favorable coûtent plus cher, ou sont moins attrayantes. Ce que nous disons aux agriculteurs, c’est qu’il est vraiment très important de se positionner pour être en mesure de faire face à un ralentissement. Et il n’est pas question de sous-estimer cet aspect. Si votre entreprise agricole est surendettée, si vous n’avez pas de ressources financières, si votre protection d’assurance est insuffisante, si vos prix ne sont pas en accord avec les prix à terme, si vous omettez de faire certaines choses essentielles, si vous n’êtes pas aussi efficace que vous le pourriez, si vous êtes devenu un peu négligent dans l’application des pratiques opérationnelles, si votre rapidité d’exécution laisse à désirer, si vous ne respectez pas la longue liste d’exigences liées à ce que nous appelons notre « stratégie de concentration », c’est-à-dire les treize critères de différenciation des meilleures entreprises… Et vous n’avez pas le choix, il faut faire partie des meilleurs…! Vous devez faire toutes ces choses. Durant un ralentissement économique, elles sont plus importantes que jamais. Cependant, il ne faut pas que cela mobilise tout votre temps. Bien sûr, si vous ne faites pas partie des meilleurs, vous devez vous hisser à ce niveau aussi rapidement que possible. Mais ne perdez pas de vue que ce genre de contexte fera surgir de nombreuses occasions. Pour les saisir, vous devrez posséder les compétences appropriées… et donc ne pas être entièrement monopolisé par votre préoccupation de survivre au ralentissement. Consacrez un peu de temps à la recherche d’occasions, examinez les possibilités d’expansion, examinez les possibilités de croissance de votre entreprise, les possibilités de tirer avantage d’occasions attrayantes qui se présenteront. En fait, selon nous, les meilleurs producteurs peuvent maintenant s’attendre à voir surgir un plus grand nombre d’occasions attrayantes – des occasions de démarrer avec succès de nouvelles activités – que dans les trois ou quatre dernières années. En effet, lorsque les revenus atteignent les niveaux intéressants qu’ont touchés de nombreux producteurs de grain, tout se met à coûter plus cher – parce que les choses qu’on veut faire, tous les autres veulent aussi les faire. Il suffit de regarder les prix de 15 000 $ à 20 000 $ qu’il faut maintenant payer pour une terre agricole dans le Midwest. C’est surévalué. Qui peut se permettre de payer un tel prix, surtout dans le contexte actuel ? Mais des occasions vont surgir de ce contexte difficile, et il est donc vraiment important, comme je le répète, de ne pas les laisser filer.
KH : Mike, je vous remercie du temps que vous nous avez accordé.
En somme, tout n’est pas nécessairement noir lorsqu’il est question des risques – ou plutôt de l’incertitude – avec lesquels doivent composer les entreprises agricoles. Il n’existe pas non plus une façon unique de gérer le risque. L’approche à adopter varie. Et surtout, c’est un processus, comme l’explique M. Boehlje. C’est une évaluation constante, dont la première étape consiste à cerner les risques auxquels une entreprise est exposée – au moyen d’exercices comme l’analyse de scénarios et l’évaluation des risques. Ces exercices aident les agriculteurs à déterminer la façon de s’y prendre pour faire face aux risques ou à l’incertitude, ainsi que les choses à examiner en priorité. L’utilité de ces exercices concerne à la fois les risques opérationnels – qu’on peut parfois partager avec autrui ou transférer à autrui – et les risques de nature plus stratégique, qui nécessitent une approche plus globale, ou même le repositionnement complet d’une entreprise pour la protéger contre un risque émergent susceptible de lui nuire. Encore une fois, merci à Michael Boehlje pour ses commentaires. Nos auditeurs trouveront d’autres ressources ayant trait à la gestion du risque, dont certains des exercices mentionnés par notre invité, sur le site Web du Centre for Commercial Agriculture de l’université Purdue.
Lors du prochain épisode de L’entreprise agricole, nous aborderons un sujet connexe : la compression des marges. Nous parlerons des stratégies permettant de composer avec un contexte où les prix sont faibles et les coûts élevés. C’est donc un rendez-vous ! Je vous remercie d’avoir été des nôtres pour ce troisième épisode de notre série L’entreprise agricole.
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