Services commerciaux > Expertise sectorielle > Agriculture > Ressources > Baladodiffusions > Instinct ou analyse – quel est le meilleur outil décisionnel
Étant donné les multiples variables qui influent sur la santé financière d’une entreprise agricole, il est risqué de s’en remettre entièrement à l’émotion pour prendre des décisions opérationnelles et stratégiques. Face à de nouveaux défis, de nouvelles solutions s’imposent. Au cours de cet épisode de L’entreprise agricole, nous recevons Terry Betker, P. Ag., CAC, président et chef de la direction de Backswath Management Inc., avec qui nous discutons de la pertinence de miser davantage sur l’analyse pour les décisions de gestion concernant une entreprise agricole.
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La série L’entreprise agricole, qui vous est offerte sur le site RealAgriculture.com, est une présentation de RBC Banque Royale.
SH : Bienvenue à l’émission L’entreprise agricole du site RealAgriculture.com (site en anglais seulement). Je suis Shawn Haney, fondateur de RealAgriculture.com. Au cours de ce deuxième épisode, nous allons parler de prise de décisions, en nous demandant s’il vaut mieux se fier à son instinct ou à l’analyse. Peut-être faut-il se fier aux deux à la fois – nous allons revenir sur ce point dans quelques instants.
Bon nombre des auditeurs de cette baladodiffusion préfèrent probablement se fier à leur instinct plutôt qu’à l’analyse pour gérer leur entreprise agricole. Cette préférence est sans doute largement le reflet de leur personnalité. En général, les agriculteurs sont des gens portés à écouter ce que leur dit leur instinct – car celui-ci est le fruit d’une longue expérience. Cela dit, prenons un instant pour faire un parallèle avec l’utilité respective de l’instinct et de l’analyse au baseball. Traditionnellement, dans ce sport, les dépisteurs en quête de nouveaux talents se fiaient uniquement à leur instinct. Peu importe la quantité de statistiques utilisées au baseball, les dépisteurs se faisaient une idée d’un joueur lorsqu’ils le voyaient en action. Ils écoutaient leur instinct. Mais le baseball a changé, et de nos jours les dépisteurs utilisent aussi des outils analytiques. Désormais, leur instinct ne suffit plus : il faut que les chiffres démontrent la valeur d’un joueur. Il en va sans doute de même pour vous qui écoutez cette baladodiffusion. En tant que propriétaires ou gérants d’entreprises agricoles, vous êtes sans doute nombreux à miser de plus en plus sur l’analyse lorsque vous prenez des décisions de gestion.
Au cours de ce deuxième épisode, nous allons nous demander si la gestion doit être fondée sur l’analyse, sur l’instinct, ou sur ces deux facteurs. Pour nous aider dans cette réflexion, nous recevons M. Terry Betker, fondateur de Backswath Management, qui vit au Manitoba.
Terry, nous allons comparer aujourd’hui deux modes de gestion, l’un s’appuyant sur l’instinct, l’autre sur l’analyse. Quand vous entendez ce genre de comparaison, lequel des deux éléments vous semble le plus courant dans le secteur agricole canadien d’aujourd’hui ?
TB : Je dirais qu’en général, il continue de se prendre plus de décisions fondées sur l’instinct – c’est-à-dire sur la perception individuelle ou sur l’impression du moment.
SH : Est-ce que c’est une bonne chose ? Ou faudrait-il agir autrement ?
TB : Certains agriculteurs ont obtenu de très bons résultats en se fiant à leur instinct. Toutefois, les fermes deviennent de plus en plus grosses et plus complexes, et emploient une main-d’œuvre plus importante – et leur complexité croissante tient aussi au plus grand nombre d’activités auxquelles elles se consacrent. De nombreuses fermes diversifient leurs activités, ce qui exige davantage d’analyse. Tout dépend de l’aspect de la gestion qui est concerné, mais de façon générale, les fermes les plus prospères ont tendance à miser davantage sur l’analyse pour prendre des décisions.
SH : Voulez-vous dire que l’instinct et l’analyse conviennent tous les deux, mais pour des types de décisions distincts ? J’imagine qu’en agriculture, on ne peut pas se fier uniquement à son instinct ou à l’analyse pour toutes ses décisions.
TB : Je crois qu’en théorie, toutes les décisions devraient être fondées sur l’analyse. Mais je crois aussi qu’il faut faire preuve de jugement. On ne peut pas dire simplement que l’analyse doit dicter chaque décision, car selon moi l’instinct a aussi sa place. L’une des difficultés liées à l’analyse est qu’on n’a pas toujours à sa disposition l’information nécessaire pour bien analyser les choses. Par exemple, en principe, certaines décisions devraient tenir compte des états financiers fournis par les comptables. Pourtant, en 2015, certains agriculteurs auront terminé l’ensemencement de leurs champs avant d’avoir reçu leurs états financiers de 2014. Bref, l’analyse devient ardue lorsqu’elle doit tenir compte de renseignements contenus dans les états financiers, mais qu’on n’a pas encore accès à ceux-ci. À ce stade, j’aimerais souligner que bon nombre des agriculteurs avec lesquels je discute, malgré leurs efforts pour intégrer davantage d’analyse à leurs processus décisionnels, ont facilement tendance à revenir à leurs anciens comportements, parce qu’ils sont liés à leur expérience passée. Il y a une corrélation importante entre l’instinct et les émotions, et les agriculteurs ont de la difficulté à prendre des décisions d’ordre commercial en faisant abstraction de la dimension affective. En somme, ce sont là quelques-uns des défis auxquels les agriculteurs sont confrontés. Et dans l’ensemble, les décisions fondées sur l’instinct demeurent plus fréquentes.
SH : En vous entendant mentionner l’expérience comme facteur clé dans la prise de décisions, je songe à une phrase d’Albert Einstein sur laquelle je suis tombé aujourd’hui en préparant cette entrevue : « La seule source de connaissance, c’est l’expérience. » En ce sens, se fier à son instinct pour gérer sa ferme, c’est faire confiance à son expérience. Et je crois que la confiance est souvent un aspect central pour les gens qui ne sont pas habitués à prendre des décisions fondées sur des chiffres, car ils se demandent : « Puis-je vraiment faire confiance à des chiffres qui ne reflètent pas ce que me dit mon instinct ? » Une telle contradiction peut créer une difficulté importante.
TB : Effectivement. Et vers qui ces agriculteurs peuvent-ils se tourner pour mettre les chiffres en contexte ? Lorsqu’ils regardent des chiffres qui ne sont pas en accord avec ce que leur dit leur instinct, où peuvent-ils trouver conseil ? Cet aspect crée une difficulté additionnelle pour certains.
SH : Des agriculteurs me disent : « Je n’ai pas le temps de réunir les chiffres qui me permettraient de prendre des décisions éclairées – et les quelques chiffres que je peux réunir rapidement mèneront peut-être à de mauvaises décisions. Voilà pourquoi je préfère m’en remettre à mon instinct pour les décisions rapides. » Il est vrai que ce mode de fonctionnement peut donner d’excellents résultats. Nombre d’entrepreneurs réputés sont parvenus au succès en misant sur leur créativité et leur instinct. Mais cette façon de faire peut aussi mener à des décisions désastreuses.
Selon vous, dans le cas spécifique de la gestion d’une ferme, comment un agriculteur doit-il s’y prendre pour intégrer une approche plus analytique à son processus décisionnel ?
TB : Il peut faire certaines choses. En premier lieu, comme vous le disiez il y a un instant, une approche analytique doit s’appuyer sur des renseignements immédiatement accessibles. Si l’analyse préalable à une décision et la collecte de données qui s’y rattache exigent un investissement de temps important de la part d’un agriculteur, celui-ci sera réticent à adopter un processus décisionnel structuré. L’agriculteur a besoin d’information immédiatement disponible. En deuxième lieu, comme je le disais plus tôt, les agriculteurs doivent avoir accès à des ressources qui facilitent la réflexion et permettent de mettre les choses en contexte. Une telle ressource peut être un voisin servant d’interlocuteur, ou un détaillant. Cela peut être un comptable, un conseiller ou un prêteur. On voit aussi de plus en plus de cas où des agriculteurs se réunissent au sein de leurs propres groupes consultatifs – qui connaissent une popularité croissante. De tels groupes permettent à un agriculteur de prendre des décisions qui tiennent compte de l’opinion d’autres agriculteurs. Ces groupes sont une source d’information – une ressource facilement accessible qui favorise l’analyse, et donc la prise de décisions plus rationnelles de la part des agriculteurs.
SH : À ce sujet, la présente série de baladodiffusions – intitulée L’entreprise agricole – comportera un épisode portant spécifiquement sur les groupes consultatifs formés de pairs. Je suis heureux que vous ayez abordé cette question, car ces groupes sont l’un des outils les plus efficaces dont peuvent se doter les agriculteurs.
TB : J’aimerais attirer votre attention sur un aspect particulier qui a pour effet de « déformer » quelque peu le contexte entourant notre discussion sur les mérites respectifs de l’instinct et de l’analyse – un aspect qui tient peut-être au cycle des céréales et des oléagineux. Ces dernières années, bon nombre de fermes ont pu dégager d’excellentes marges bénéficiaires, ce qui tend à confirmer la pertinence des décisions fondées sur l’instinct. Toutefois, les choses sont différentes lorsque les marges rétrécissent et que le risque augmente, ou, comme je le remarque actuellement, lorsque les fermes deviennent plus complexes et qu’un plus grand nombre de personnes participent activement à leur exploitation. Dans de tels cas, on devrait se fier davantage à l’analyse.
SH : Vous soulevez un point très important. En somme, un agriculteur exploitant seul sa ferme peut se fier à son instinct pour de nombreuses décisions, puisqu’il n’a de comptes à rendre à personne. Par contre, lorsque la gestion d’une ferme est assurée par une équipe – par exemple un couple, ou plusieurs membres d’une même famille –, il devient très difficile de fonctionner à l’instinct, car les décisions doivent être justifiées. Personne ne peut simplement déclarer qu’il « sent » qu’une certaine décision est la bonne, car il pourrait se faire reprocher plus tard de ne pas avoir suffisamment étayé sa décision au moyen de faits.
TB : Exactement. Par ailleurs, il faut aussi tenir compte d’une autre dynamique, avec laquelle nous devrons, selon moi, composer de plus en plus fréquemment. Je parle des cas où, parmi les propriétaires, on compte des actionnaires ou d’autres parties prenantes qui détiennent un intérêt actif dans la ferme – en ce sens qu’ils participent à sa gestion ou à son exploitation. À ces personnes peuvent s’ajouter des membres de la famille – frères, sœurs, oncles et tantes vivant, par exemple, à Vancouver, mais propriétaires eux aussi d’une partie de la ferme. Dans de tels cas, un processus décisionnel donnant plus d’importance à l’analyse aura tendance à favoriser de bonnes relations d’affaires entre les propriétaires actifs et inactifs.
SH : Et il ne faut pas oublier la réaction qui pourrait vous accueillir à la banque si vous vous y présentiez en disant simplement : « Nous désirons acheter d’autres terres – ou une centaine d’acres – et nous avons donc besoin d’un prêt de X millions de dollars. » Avant de présenter une telle demande, vous devez établir un plan d’affaires qui doit s’appuyer sur des données analytiques. Vous ne pouvez pas demander à une banque de faire confiance à votre impression de prendre la bonne décision.
TB : Exactement. Ou imaginons que vous faites connaître votre intention de louer d’autres terres à un prêteur ou à une tante propriétaire d’une partie de la ferme … Ou plutôt… je vais prendre un autre exemple... Imaginons que votre sœur ou votre tante possède des parts dans l’entreprise, et que vous désirez acheter une nouvelle moissonneuse-batteuse ou échanger celle que vous possédez, ou que vous voulez louer des terres – et qu’il vous en coûtera cent dollars l’acre. Dans ces situations, vous aurez probablement besoin de renseignements supplémentaires, et donc de données analytiques. Vous ne pourrez pas vous contenter de dire : « Je pense que les résultats seront positifs. » Une telle approche se heurtera à trop de résistance.
SH : Après avoir comparé l’efficacité de l’instinct à celle de l’analyse, voyons comment ces deux facteurs peuvent agir ensemble. Un agriculteur qui prend des décisions de gestion en se fondant à la fois sur des analyses et sur son instinct obtient véritablement les meilleurs résultats possible.
TB : Je crois que c’est le scénario idéal – et il se concrétisera de façon distincte d’une ferme à l’autre. La théorie dit que nous serions censés nous en remettre aux analyses. Mais selon moi, si des agriculteurs ont connu du succès et qu’ils conjuguent, comme vous le suggérez, une approche analytique et une approche fondée sur l’instinct – c’est-à-dire sur leur propre jugement –, alors cette combinaison est ce qui leur convient.
SH : Si les agriculteurs sont réticents à intégrer plus d’analyse à leur mode de gestion, c’est en raison de certains facteurs, dont le peu de temps à leur disposition. Or, il ne faut pas voir les choses plus compliquées qu’elles ne sont. Nous n’avons pas besoin de bases de données ultraperformantes – pouvant analyser nos coûts par acre à quelques cents près. Un tel niveau de complexité est inutile dans notre cas. Intégrer de l’analyse à nos décisions signifie simplement prendre un peu de temps pour examiner certains chiffres afin de nous assurer que nous prenons les bonnes décisions.
TB : Je suis d’accord avec vous. Les courbes de tendance sont importantes, et l’on pourrait élaborer des analyses financières approfondies, ou dégager des chiffres ayant trait aux finances ou à la production. Ce processus pourrait être sans fin et pousser l’analyse jusque dans des détails minimes. Or, on peut très bien se limiter à suivre les courbes de tendance et à examiner la variation de quelques indicateurs clés au fil du temps. C’est un excellent point de départ. Et il est bon aussi de respecter certains principes, dont la loi des 20/80, et de se rappeler l’importance de garder les choses simples.
SH : Les agriculteurs font face à une réalité plus complexe que par le passé. Toutefois, comme l’a expliqué Terry Betker en entrevue, il peut être relativement simple d’y faire face s’ils misent à la fois sur une approche analytique et sur l’instinct très sûr qui les caractérise traditionnellement. Comment s’y prendre ? En gardant les choses simples et en suivant quelques indicateurs clés qui permettent d’accroître l’efficacité de la « boussole » que constitue l’instinct. Nous avons aussi souligné que toute analyse doit s’appuyer sur des données précises, à défaut de quoi les décisions seront entièrement tributaires de l’instinct. Or, lorsque la santé financière d’une entreprise agricole est en jeu, il est risqué de s’en remettre entièrement à l’émotion pour prendre des décisions opérationnelles et stratégiques. Voilà pourquoi nous vous encourageons à prendre un peu de temps pour vous assurer que votre instinct s’appuie sur des bases solides et que les données auxquelles vous vous fiez sont exactes. Enfin, ne vous limitez pas à une seule approche. Selon le type de décision qu’ils ont à prendre, les gestionnaires efficaces savent faire appel à un instinct sûr et à une approche analytique, qui, une fois conjugués, maximisent la probabilité d’une décision judicieuse. L’économiste américaine Emily Auster résume comme suit les caractéristiques de cette combinaison gagnante : « La meilleure façon de prendre de bonnes décisions, c’est d’évaluer l’information et les données disponibles, puis de faire entrer en jeu sa propre estimation des variations positives et négatives. »
J’espère que vous avez aimé ce deuxième épisode de la série L’entreprise agricole du site RealAgriculture.com, qui vous était présenté par RBC. Je tiens à remercier tout particulièrement M. Terry Betker, de Backswath Management, qui nous a éclairés sur la pertinence des approches de gestion fondées respectivement sur l’instinct et l’analyse.
Lors de notre troisième épisode, nous parlerons de la gestion du risque dans une entreprise agricole. Soyez des nôtres lorsque nous en discuterons. C’est un rendez-vous !
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