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Au cours de cet épisode de L’entreprise agricole, nous recevons Merle Good, de GRS Limited, conseiller spécialisé en entreprise agricole et en planification de la relève, avec qui nous discutons des aspects financiers et opérationnels de la constitution en société d’une entreprise agricole. M. Good parle également de la planification de la relève d’une telle entreprise, des obstacles possibles à la constitution en société, ainsi que des facteurs de succès après la transition.
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La série L’entreprise agricole, qui vous est offerte sur le site RealAgriculture.com (site en anglais seulement), est une présentation de RBC Banque Royale.
Bienvenue à ce sixième épisode de la série L’entreprise agricole, offerte par RealAgriculture.com. Au cours de cette sixième émission de la série, nous allons examiner les avantages d’une entreprise agricole constituée en société, par comparaison avec une entreprise individuelle, de même que les choses à prendre en considération avant d’arrêter son choix à cet égard. Nous recevons aujourd’hui M. Merle Good, avec qui nous allons examiner les conséquences opérationnelles et financières de la constitution en société d’une entreprise agricole. M. Good fera également bénéficier les auditeurs de ses connaissances en matière de planification de la relève, et soulignera l’utilité de constituer une société afin de créer un plan de relève vraiment efficace. L’émission intéressera aussi les agriculteurs qui ont déjà constitué leur propre société, car ils découvriront probablement des avantages dont ils ne tirent pas pleinement parti à l’heure actuelle. La discussion les aidera en outre à poursuivre leur réflexion sur les obstacles et les pièges que doivent éviter les propriétaires d’entreprises agricoles constituées en sociétés. Enfin, fait important, nous verrons au cours de cet entretien que la constitution en société n’est qu’une étape au-delà de laquelle il importe de continuer à assurer le succès de l’entreprise. Nous inciterons donc les agriculteurs à maintenir leur vigilance après cette transition. Nous espérons que ce sixième épisode saura vous captiver.
SH : Bienvenue à l’émission, Merle. Comment allez-vous ?
MG : Très bien. Je vous remercie.
SH : Merle, au cours de ce sixième épisode – intitulé Ferme inc. –, nous allons parler de la constitution en société d’une entreprise agricole, en nous interrogeant sur les avantages et les désavantages de cette approche. Amorçons notre discussion sur ce point : quel est, pour un agriculteur, l’intérêt de constituer son entreprise en société ?
MG : C’est une question très vaste. Le mieux est d’y répondre en l’abordant sous divers angles. Naturellement, l’angle le plus logique est celui de la fiscalité, étant donné le faible taux auquel sont imposées les sociétés dans chacune des trois provinces des Prairies. Ce taux est de 14 % en Alberta, de 11 % au Manitoba, et d’environ 15 % en Saskatchewan. Les revenus étant imposés à de tels taux – qui s’appliquent jusqu’à un demi-million de dollars de revenu imposable –, leurs fluctuations sont énormes, comme vous le savez vous-même en tant qu’agriculteur. Autrefois, nous observions des tendances en matière de revenus agricoles. Maintenant, nous sommes plutôt en présence de poussées, de creux et de volatilité, tout comme sur les marchés boursiers. Les variations sont très grandes. Avec des taux d’imposition aussi faibles, même les fermes de petite taille peuvent tirer leur épingle du jeu. Il n’est pas nécessaire d’exploiter une ferme particulièrement imposante ou rentable pour faire sa place, car on voit surgir des occasions de vendre ou de vendre à terme des quantités de grain considérables de façon très rapide. Un producteur agricole peut bénéficier soudain de rentrées de fonds très substantielles. Il doit donc être en mesure de prendre des décisions financières éclairées fondées sur des considérations autres que les taux d’imposition. Lorsqu’on le considère sur une période de trois ou quatre ans, le revenu annuel net moyen d’une entreprise agricole n’est pas particulièrement élevé. Toutefois, il peut passer de 250 000 $ une année à 160 000 $ l’année suivante, ou à 100 000 $. Une entreprise qui est constituée en société a l’avantage de pouvoir utiliser un taux fixe – et donc de ne pas laisser le taux d’imposition dicter ses décisions.
SH : Donc, premier aspect du tableau : la faiblesse des taux d’imposition. Quels sont les autres facteurs ?
MG : Selon moi, en dehors du taux d’imposition, le facteur qui a le plus de poids est celui de la planification de la relève – qui est mon domaine d’expertise. Mais avant d’aborder ce sujet, j’aimerais parler de la dimension financière. Sur le plan financier, l’un des avantages de la constitution en société est la protection à l’égard des créanciers. Parmi les jeunes agriculteurs que je rencontre, beaucoup se consacrent à des activités commerciales non liées à l’exploitation de leur ferme. Par exemple, certains offrent des services de pulvérisation agricole. Dites-moi, Shaun, selon vous, quel est l’âge moyen d’un entrepreneur en pulvérisation ?
SH : Je vais tenter ma chance en disant 35 ans.
MG : Bravo, très juste ! Et il est intéressant de noter que ces jeunes achètent des pulvérisateurs, puis se donnent à fond à ce travail pendant dix ans, et finissent par laisser tomber parce qu’ils n’en peuvent plus. Mais toujours est-il que pendant ces dix ans, s’ils ont maintenu une séparation entre leur entreprise de pulvérisation et leur ferme – au moyen d’une structure comme la constitution en société –, ils ont aussi maintenu une séparation des responsabilités. Bref, si votre fils veut se lancer dans la pulvérisation, assurez-vous que son entreprise est séparée de l’exploitation agricole familiale – même s’il s’agit d’une entreprise individuelle, ou même d’une société. En somme, la constitution en société permet parfois de séparer les unes des autres diverses activités agricoles – surtout pour des raisons liées à la responsabilité. Quand je mentionne la protection à l’égard des créanciers, nombre d’agriculteurs sautent trop vite aux conclusions, imaginant que je parle d’une formule pour réduire le risque auquel ils sont exposés en cas de non-remboursement de leurs emprunts à la banque. Ce n’est pas le cas, et il est important de le souligner. On ne peut pas structurer une société d’une façon qui élimine sa responsabilité envers des institutions comme la Banque Royale, parce que ces institutions exigent ce que l’on appelle des cautionnements personnels. Pour le bénéfice de nos auditeurs, je précise que ces cautionnements personnels peuvent comporter une limite – un plafond. Ou encore, dans certains cas, ils sont assortis d’une date d’échéance, et il faut donc les renégocier après un certain nombre d’années. Bref, certains éléments peuvent varier.
SH : D’accord. Donc, nous sommes toujours sur le plan financier. Nous avons parlé de la faiblesse des taux d’imposition, de la protection à l’égard des créanciers. De quoi d’autre faut-il tenir compte ?
MG : La question des ressources financières est centrale. J’en ai parlé lors d’une présentation au colloque FarmTech – d’ailleurs, vous étiez sur place cette année-là. Étant donné l’évolution du coût des terres et des taux d’intérêt, il est devenu pratiquement impossible de faire l’acquisition de terres à titre personnel. On ne saurait trop souligner cet aspect. S’il se présente une occasion d’acheter le quart d’une section de terre agricole dans ma localité, à Cremona, vous devrez payer à l’heure actuelle 600 000 $. Et comme vous ne paierez que 4,5 % d’intérêt, c’est surtout du capital que vous rembourserez. Or, compte tenu du taux d’imposition des particuliers, vous devrez laisser votre chemise pour effectuer de tels paiements en capital à même votre revenu après impôts – car les paiements en capital ne sont pas déductibles. Si l’on compare la somme après impôts nécessaire, sur 20 ans, pour acheter la terre en question à titre personnel et en tant qu’entreprise, on se rend compte que l’individu doit payer environ 50 % de plus parce qu’il n’a pas la possibilité de déduire l’intérêt. Quand j’étais jeune, bien sûr, la terre était meilleur marché, mais les taux d’intérêt étaient de 16 %. Je n’ai donc pas eu besoin de former une société pour acheter des terres, puisque mes paiements étaient surtout constitués d’intérêt pouvant être déduit dans ma déclaration de particulier. À l’heure actuelle, nous voyons des situations où, même si les revenus liés à des activités exercées hors de la ferme ne sont pas considérables, les gens optent pour un nouveau modèle selon lequel le fils forme parfois sa propre société avant son père. Il le fait parce qu’il exerce des activités en dehors de la ferme et qu’il a besoin d’une société pour pouvoir poursuivre son activité agricole et effectuer les paiements liés à la terre.
SH : À ce propos, observe-t-on une différence liée à l’âge ? Est-ce que les agriculteurs plus jeunes ont une attitude différente de leurs parents au sujet de la constitution en société ? Ou observe-t-on à peu près la même attitude ?
MG : Je dirais que les jeunes sont plus ouverts à l’idée. Bien sûr, comme je l’ai constaté récemment en parlant avec un jeune de 25 ans, à cet âge, la constitution d’une société est quelque chose d’assez mystérieux. Les choses sont plus claires chez les gens à la fin de la trentaine ou au début de la quarantaine ; ils sont beaucoup plus ouverts à l’idée, parce qu’ils possèdent dix ans d’expérience dans le secteur agricole, ou sept ans. Ils sont prêts à réfléchir aux différentes options dont nous discutons aujourd’hui. Il est avantageux pour eux de constituer une société parce qu’ils veulent acheter de la terre, et aussi, fait extrêmement important, parce qu’ils veulent rembourser leur dette. Il n’est pas nécessaire de se constituer en société pour payer des machines agricoles, car on peut les amortir. Mais dans le cas de la terre, j’ai bien peur qu’il n’y ait pas d’autre solution que la constitution en société. Et je tiens à mentionner qu’il existe un préjugé très tenace selon lequel une terre n’est pas censée être la propriété d’une société. Ce préjugé, il faut en être conscient et le surmonter. On ne peut pas simplement affirmer qu’il ne faut jamais qu’une société achète une terre, ou soit formée pour acheter une terre. Ce préjugé a nui aux agriculteurs ces dix dernières années, et il faut changer les choses.
SH : D’accord. Et quand vous observez la situation au Canada, y voyez-vous ce préjugé concernant l’achat de terres par une société ?
MG : Oui. Je vais poursuivre sur le sujet, maintenant qu’il a été soulevé. Je trouve vraiment frustrant que la profession comptable et les conseillers n’aient pas dit aux agriculteurs : « Vous pourriez vendre le quart d’une section de terre agricole à votre société, ou créer une société à cette fin, et ensuite élaborer un prêt de 400 000 $ à l’intention des actionnaires ; ainsi, vous n’auriez plus à payer d’impôt comme particulier – jusqu’à concurrence de 400 000 $. » Shaun, je vais profiter de cette entrevue pour vous expliquer la nouvelle approche qui est la mienne – en vous posant une question : quelle est l’utilité d’emporter dans la tombe votre déduction pour gains en capital ? Servez-vous-en plutôt de votre vivant pour faire en sorte de ne pas avoir à payer d’impôt comme particulier. Je m’explique : lorsque je rencontre individuellement des agriculteurs, ils me disent presque tous que leur entreprise va être transférée à la génération suivante – à condition, bien sûr, qu’il y ait une génération suivante. Et cette nouvelle génération aura des terres, bien entendu, car on ne peut pas exploiter une ferme sans terre. Mais alors, pourquoi ne pas vendre le quart d’une section de terre agricole à votre propre société, puis créer un prêt de 400 000 $ à l’intention des actionnaires, et enfin retirer cet argent entièrement en franchise d’impôt afin de réduire l’impôt que paient les particuliers qui touchent la pension de la Sécurité de la vieillesse versée par le gouvernement canadien ? Cette façon de faire élimine la récupération de la Sécurité de la vieillesse. En pratique, elle a pour effet d’exempter d’impôt les particuliers concernés. Ceux-ci peuvent donc faire en sorte de transférer plus tard leur société en franchise d’impôt à un enfant qui exploite avec eux la ferme, et entre-temps ils gardent le contrôle de celle-ci. En somme, ils créent un plan de relève idéal, puisqu’il leur permet de puiser à même le revenu de l’entreprise sans avoir à payer d’impôt, ainsi que de transférer leur patrimoine à la génération suivante, et cela, en restant maîtres de celui-ci. C’est une formule idéale, car elle encourage l’enfant à devenir propriétaire de la ferme tout en permettant aux parents de continuer à exercer un contrôle fondé sur les quatre « D » : décès, divorce, dette, etc. Bref, grâce à votre société, vous recevez de l’argent en franchise d’impôt. C’est un facteur important. De plus, c’est vous qui décidez du montant que vous recevez en franchise d’impôt. Bref, il s’agit en quelque sorte de créer un canal distinct pour répondre à vos besoins personnels. C’est l’une des raisons pour lesquelles la constitution en société convient bien, selon moi, dans le cas des agriculteurs qui se retirent des affaires ou qui veulent laisser progressivement la place à la génération suivante. J’explique tout cela pour souligner indirectement l’importance de réévaluer le mythe entourant la question de la propriété des terres. Je précise toutefois que l’endroit où l’on habite – les terres qui constituent la résidence – ne doit jamais devenir la propriété d’une société. En dehors de cette exception, je n’ai aucune réserve, car une telle stratégie procure une flexibilité essentielle. Imaginons un instant que vous avez acheté le quart d’une section de terre agricole il y a dix ans, à un prix de 200 000 $. Aujourd’hui, il ne vous reste que 100 000 $ à rembourser, mais la valeur de la terre est passée à 500 000 $. Eh bien, vendez la terre à votre société, laissez celle-ci se charger de rembourser les 100 000 $ de dette restants, et créez un prêt de 400 000 $ à l’intention des actionnaires.
SH : Diriez-vous que la constitution en société – en raison des stratégies que vous avez mentionnées, ou d’autres que nous n’aurons pas le temps d’examiner aujourd’hui – est un facteur de flexibilité accrue qui permet de réaliser ce genre de choses ?
MG : C’est indéniable. Toutefois, je ne voudrais pas donner l’impression que tout devient facile à partir du moment où l’on constitue une société. Des obstacles peuvent se présenter en ce qui a trait au fonctionnement – des obstacles de nature non pas technique, mais psychologique. Dès qu’une société est formée, les individus qui en font partie ont tendance à la considérer comme une source de fonds. Et donc, à leurs yeux, les dépenses ne sont pas les leurs, mais celles de la société. Je vois fréquemment, dans des sociétés, des cas de mauvaise gestion financière qui sont attribuables à des personnes qui refusent de prendre la responsabilité des chèques qu’elles font – rejetant cette responsabilité sur leur société, qu’elles voient comme une sorte d’entité floue.
SH : Une entité bénéficiaire d’un important prêt d’exploitation…
MG : Exactement. Donc, il faut être très conscient de la difficulté que représente la transition d’un compte bancaire personnel à un compte d’entreprise. Quand on crée une société, on reçoit une carte de crédit d’entreprise, et soudain, toutes les dépenses sont faites par l’entreprise. La discipline financière des individus se relâche. Beaucoup tombent dans ce piège. J’y suis tombé moi-même. Je reconnais qu’après avoir créé ma société, j’ai cédé à la facilité de penser qu’elle allait payer pour ceci ou pour cela – et donc que ce n’était pas moi qui dépensais. Voilà pourquoi je tiens à souligner, à double trait, l’importance de conserver sa discipline financière une fois la société constituée. Il faut absolument bien comprendre cet aspect. En deuxième lieu, et tout particulièrement dans le cas des sociétés intergénérationnelles, il faut bien être d’accord sur ce qu’on entend par dépense personnelle et dépense d’entreprise. Cette question peut sembler anodine, mais c’est loin d’être le cas. Il est facile d’être sur la même longueur d’onde en matière de dépenses lorsque la société se limite à deux conjoints. Toutefois, lorsque des personnes de plus d’une génération sont concernées, il est extrêmement important – et je répète, extrêmement important – d’avoir une discussion approfondie pour s’entendre sur ce qui constituera ou non une dépense d’entreprise, ainsi que sur les limites à ne pas dépasser en cette matière. Il faut aussi convenir du type de véhicule que la société fournira, si tel est le cas. Il est essentiel d’être d’accord sur ce type de choses, car la discipline financière est difficile à maintenir au sein d’une société.
SH : Il est plutôt ironique de devoir mentionner la discipline financière – mais effectivement, les gens ont facilement tendance à se dire que c’est la société qui paie. Il est très ironique qu’ils perdent ainsi de vue que c’est de leur argent qu’il s’agit – puisqu’ils fournissent les cautionnements personnels dont vous parliez plus tôt.
MG : Bien sûr que c’est de leur argent qu’il s’agit, car tout est lié. Mais la nature humaine est ainsi faite. Je n’ai jamais rencontré d’agriculteur faisant les choses à la perfection, et je ne crois pas que vous en rencontrerez. Les gens ont simplement besoin de temps pour apprendre à faire la différence entre l’apport de la société et le leur. Lorsqu’il s’agit seulement d’un couple, la difficulté est moins grande. Mais lorsqu’il y a plus d’une génération ou tout particulièrement deux frères dans une société, ou même dans une coentreprise, il est essentiel de s’assurer que les gens ont une vision commune de ces questions – et, selon moi, il faut passer beaucoup plus de temps à aider les producteurs agricoles à comprendre ce qui constitue ou non une dépense d’entreprise. La question des services publics est un autre exemple. Qui paie pour l’essence de chacun ? Et je pourrais poursuivre longtemps la liste des points dont il faut tenir compte. L’important est de prendre le temps d’en discuter avec nos clients pour les aider à faire les distinctions qui s’imposent.
SH : C’est très convaincant. Merle, nous avons parlé de certains avantages d’une société, ainsi que de choses à garder à l’esprit. Maintenant, quelles sont les situations où il serait moins intéressant de constituer une société ?
MG : Eh bien, il faut être réaliste. Constituer une société implique des coûts. Par exemple, les déclarations fiscales effectuées par les comptables coûtent en moyenne 50 % de plus. Il s’agit d’un coût supplémentaire chaque année. Et il y a aussi des frais récurrents d’environ 200 $ par année. Bref, les frais juridiques et comptables sont plus élevés. Et il faut mentionner un piège à éviter absolument – et cet aspect est tellement important que c’est sans doute le point majeur de notre conversation d’aujourd’hui. Il concerne une mise en garde à l’intention de toute personne qui constitue une société. Si votre société est prospère et que plus de 10 % de la juste valeur marchande de ses actifs… Je reprends... Si la proportion des actifs de votre société qui ne servent pas à des fins d’entreprise agricole – par exemple, de l’argent à la banque ou des dépôts à terme ou, pire, un portefeuille de titres boursiers – représente plus que 10 % de la juste valeur marchande de la totalité des actifs de votre société, celle-ci cesse de se qualifier comme une ferme. Dès que cette proportion de 10 % est dépassée, votre entreprise n’est plus admissible comme société agricole familiale. Ce point est d’une extrême importance. Si votre entreprise cesse de répondre aux exigences de la définition de société agricole familiale, il devient impossible de transférer vos actions à la génération suivante lors de votre décès. Je rencontre de nombreux agriculteurs dont la société ne répond pas à ce critère – qu’on appelle le critère de « la totalité ou presque » des biens. De mon point de vue, il est injuste que ce critère soit appliqué en agriculture, et je vous donne un exemple pour illustrer mon affirmation, Shaun. Imaginons que j’ai une société qui est strictement une société d’exploitation, dont les seuls actifs sont de la machinerie et des stocks, et que cette société vaut en tout un million de dollars. Si jamais ma société investit 100 000 $ dans des actifs non agricoles, elle cesse d’être admissible. Par contre, si elle achète l’ensemble de mes terres, qui valent en tout trois millions de dollars, elle conserve naturellement son admissibilité – puisque 10 % de trois millions, c’est 300 000 $. Donc, dans le scénario B, selon lequel je mettrais tous mes biens dans ma société, celle-ci serait admissible au titre de société agricole familiale. Mais dans le scénario A, selon lequel j’aurais les mêmes terres, mais ma société serait strictement une société d’exploitation (ce qui me semble personnellement plus attrayant comme scénario), eh bien, ma société serait inadmissible.
SH : L’une de vos spécialités est la planification de la relève. Quels sont les liens entre ce domaine et notre sujet d’aujourd’hui ? Du point de vue de la planification de la relève, vaut-il mieux constituer son entreprise en société ou non ?
MG : Je crois que nous allons boucler la boucle avec ce sujet. La planification de la relève concerne le transfert d’une entreprise, tandis que la planification successorale a trait à la transmission d’un patrimoine. Compte tenu du caractère commercial des fermes d’aujourd’hui, il est pratiquement essentiel d’être constitué en société pour planifier sa relève. Autrefois, on disait à ses enfants : « Lorsque je mourrai, il vous suffira de faire l’inventaire du bétail, des machines, des stocks et du grain » ou encore « Je vais vous transférer la ferme progressivement ». Ces façons de faire ne fonctionnent plus. Quand une ferme est constituée en société, les parents qui prennent leur retraite peuvent continuer de toucher un revenu sur leur avoir. Il est très important que vos clients et vos auditeurs comprennent cet aspect. Quand on place des actifs dans une société, on reçoit en retour ce qu’on appelle des actions privilégiées. Si vous investissez un million de dollars dans les stocks, vous recevez un million de dollars d’actions privilégiées. Et donc, quand la structure mise en place répartit la propriété de la société entre un agriculteur et son enfant, c’est la société – et non pas l’enfant – qui rachète peu à peu les actions du parent. Ainsi, une société qui vaudrait, disons, un million de dollars pourrait verser au parent 50 000 $ par année, et au bout de 20 ans, la société aurait entièrement racheté les actions du parent. Et si elle avait été structurée correctement, elle serait maintenant dans une large mesure la propriété de la nouvelle génération. Bref, on utilise une méthode très structurée et bien connue pour permettre aux parents retraités de vivre de leur avoir – et malheureusement, en un sens, cela fait partie de la raison d’être d’une ferme intergénérationnelle. Si je trouve cela malheureux, c’est en raison d’un facteur très important : lorsqu’une ferme intergénérationnelle est transférée de la sorte, il est extrêmement rare qu’elle puisse verser un taux de rendement aux parents. Il faut comprendre que si la société vaut deux millions de dollars et que les parents désirent un taux de rendement de 5 %, cela signifie retrancher 100 000 $ sur la valeur totale – ce qui a pour conséquence qu’au bout de 20 ans, les parents sont encore propriétaires de la société, mais leur enfant n’a plus rien, puisque le taux de rendement l’a entièrement dépouillé de sa capacité de générer un revenu. C’est un peu comme si l’enfant avait versé des dividendes à la façon d’une société inscrite au TSX. Ce que je veux faire comprendre, c’est que si, en tant que parent, vous désirez planifier votre relève, vous devez respecter trois principes : 1) à votre décès, vous aurez encore de la terre ; 2) votre avoir vous procurera un revenu de retraite ; 3) nous structurerons le transfert de façon à ce qu’à votre décès, l’enfant qui assurera la relève de la société d’exploitation agricole puisse au moins avoir accès aux terres laissées aux enfants qui ne vivent pas sur la ferme – donc, nous prévoirons une convention d’accès. Ces trois principes sont les trois piliers sur lesquels je fonde les plans de relève des sociétés qui font appel à moi.
SH : En somme, qu’on envisage les choses à court terme, du point de vue de l’exploitation, ou à plus long terme, du point de vue de la planification successorale ou de la relève, diverses considérations influent sur la décision de constituer ou non une société.
MG : Oui. Et malheureusement, je crois que les gens sont placés devant ce choix trop tôt, sans comprendre les enjeux. C’est un peu comme si vous arriviez à la maison avec un tout nouveau semoir pneumatique, mais qu’en l’absence de vos enfants, vous n’ayez aucune idée de la façon de faire fonctionner cet engin !
SH : Exactement (rires) ! Vous regarderiez les écrans en vous demandant à quoi ils peuvent bien servir !
MG : Oui, la situation est la même ! Constituer une société sans la comprendre, c’est comme acheter un appareil pneumatique, mais être incapable de lire les écrans. La première étape est de lire attentivement le manuel si l’on veut comprendre les avantages d’un nouveau semoir pneumatique. Il faut faire la même démarche pour comprendre les avantages de constituer une société.
SH : Merle, je vous remercie de tout cœur de votre présence à l’émission aujourd’hui. Au plaisir de vous reparler bientôt !
Nous remercions RBC du soutien qu’elle apporte à cette série. Merci aussi à tous nos auditeurs. Soyez des nôtres lors du septième épisode de la série L’entreprise agricole !
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