Un peu d’imagination a permis de trouver une solution gagnante pour les deux
Chacun cultive des terres de l’autre et ils adorent.
La concurrence est vive dans le milieu agricole. Qui est votre principal concurrent ?
Pour certains, c’est leur voisin, qui leur fait concurrence pour les bonnes terres ou la maind’oeuvre, pour les meilleurs prix des intrants
et les meilleurs résultats de production ou pour le droit d’être le coq du village.
Dans la région de Lethbridge, en Alberta, Jake Schutter et Randy Penner se côtoyaient depuis de nombreuses années. Ils s’entendaient bien
sans être très proches. Les 3 000 acres de Jake encerclaient presque complètement les 960 acres de Randy. Il y a trois ans, chacun
s’est trouvé devant une situation difficile sans que son voisin le sache.
M. Penner cultivait des céréales et des haricots secs sur des terres irriguées. Mais il n’arrivait pas à trouver de la main-d’oeuvre. Il aurait
bien voulu augmenter ses revenus en cultivant du canola hybride pour produire des semences sous contrat, mais ce genre de culture exige
une rotation quinquennale rigoureuse et l’exiguïté de ses terres rendait cela très difficile.
M. Schutter est un des plus gros producteurs de pommes de terre de la région. Son grand problème était qu’il ne trouvait pas assez de terres bien irriguées à louer à un prix raisonnable.
Un jour qu’ils discutaient de choses et d’autres, ils ont commencé à parler de la difficulté de trouver des terres et de garder des travailleurs qualifiés. Et tout à coup, ils ont eu un éclair de génie, se rappelle M. Schutter. En échangeant des parcelles, ils pouvaient avoir tous deux ce qu’ils voulaient : l’un, plus de terres pour la rotation, l’autre, des acres à bon prix.
Les conditions de l’entente
Les deux hommes échangent chaque année six quarts de section de terres. Cet arrangement plutôt inusité apporte bien des avantages. « Jake fait pousser des pommes de terre sur ma terre et moi, du canola hybride sur la sienne », explique M. Penner, qui souligne que l’entente est régie par plusieurs considérations agronomiques importantes.
Chacun utilise le matériel d’irrigation de l’autre et prend à sa charge les frais de pompage et de réparation pendant la saison. M. Penner tient la société qui lui fournit les semences de canola au courant de l’entente et M. Schutter doit reconnaître par contrat que les graines qui poussent sur
ses terres appartiennent à ce fournisseur. Pour éviter tout conflit à propos de l’usage de produits chimiques, « nous discutons toujours des herbicides », précise M. Penner.
M. Penner peut maintenant faire pousser
du canola sur six quarts de section de terres
propres et bien fertilisées. S’il devait se
contenter de ses propres terres, il ne
pourrait probablement planter qu’un
quart ou deux en raison des règles de
rotation très strictes. Sans les terres de
son voisin, il aurait peut-être abandonné
l’agriculture, alors qu’aujourd’hui, il regarde
l’avenir avec confiance.
« Je suis très optimiste, dit-il. Je peux tout
faire moi-même maintenant, et je suis
très heureux. »
M. Schutter est entré dans cette entente
d’abord et avant tout parce que la terre
de son voisin lui plaisait. « La production
de semences de canola exige des terres
bien entretenues et bien fertilisées, dit-il.
Ce n’est pas facile de trouver de bonnes
terres pour les pommes de terre, parce
que si les gens croient que vous gagnez
beaucoup d’argent, ils demandent des
loyers élevés. Pour trouver des terres, il faut
offrir plus qu’un loyer. »
Maintenant qu’il peut disposer des terres
de son voisin, M. Schutter peut lui-même
améliorer son propre système de rotation
des cultures. Certaines sections n’ont pas vu
une pomme de terre depuis six ans, ce qui
promet des rendements élevés plus tard.
Côté financier, chacun a pu se concentrer
sur le matériel spécialisé dont il a besoin
au lieu d’investir dans des machines pour
des cultures secondaires. En se spécialisant,
l’un dans le canola hybride, l’autre dans
la pomme de terre, ils obtiennent chacun
des rendements à l’acre plus élevés que
s’ils devaient cultiver des plantes moins
recherchées, mais nécessaires pour la
rotation.
L’esprit de l’entente
Contents de leurs résultats respectifs,
MM. Penner et Schutter ont signé cette
année un nouveau contrat de cinq ans qui
les conduira jusqu’en 2011. Par prudence,
ils l’ont fait rédiger par un avocat. Pour
M. Schutter, cependant, une entente de
ce genre ne peut fonctionner que si un
véritable esprit de coopération anime les
deux partenaires.
« Nous avons une entente à long terme qui
nous satisfait tous les deux, dit-il. Pour que
ça marche, il faut avoir du respect pour
l’autre, avoir le sentiment que c’est une
bonne affaire pour soi mais aussi pour
l’autre. Nous ne nous cassons pas la tête
pour des riens et nous tenons absolument
à savoir ce que l’autre pense. Un dialogue
franc et ouvert est essentiel. »
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